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Publicité responsable, obsolescence programmée : rien de nouveau ?

L’interview avec Thierry Libaert, conseiller au Comité Économique et Social européen, président de l’Académie des Controverses et de la Communication sensible.

Mars 2022

Bonjour Thierry, Bonjour à tout le monde. Nous sommes très heureux de t’avoir avec nous ce matin, comme c’était le cas avec Marine et Erwan. Thierry est vraiment quelqu’un d’important sur les questions de publicité et de communication responsable. Outre le fait que c’est un très grand professionnel et analyste de la communication, puisque ça fait 30 ans qu’il écrit des ouvrages sur ces sujets-là, il a été auteur du Communicator. C’est quelqu’un qui en plus enseigne, qui est très pédagogue. C’est un vrai plaisir de t’avoir parmi nous.

Et puis il faut savoir que dans l’évolution au niveau national de la perception des agences dans leur responsabilité, on verra cet après-midi avec Gildas Bonnel de l’AACC, Thierry avec Géraud GUIBERT, a publié un rapport qui fait vraiment date sur la demande du Ministère sur la publicité responsable et sa responsabilité et qui aboutit en grande partie à une évolution dans la loi qui arrive. Ce que je propose Thierry, on va commencer par les questions des étudiants.

Thomas Chabbert : quelles sont les actions concrètes que l'Union européenne met en place pour accompagner les communicants dans leur transition écologique ?

Thierry L. : De manière très concrète, l’UE leur donne un cadre, il n’y a pas d’actions concrètes de l’UE pour les communications, mais ça, c’est une chose récente et plutôt encourageante, c’est que l'Union européenne intègre désormais les processus de communication à l’intérieur de ces grandes directives et règlements.  L’économie circulaire, alors je ne sais pas si tu sais un peu ce que c’est, en gros c’est de modifier le système économique actuel pour passer d’un modèle un peu linéaire (extraire, consommer et jeter) vers un modèle circulaire où on est sur l’éco conception, de nouvelles pratiques de consommation : le recyclage, le réemploi, la réutilisation, etc.

Dans un document très technique, très économique, pour la première fois, il y a 2 ans, la Commission européenne intègre les problématiques marketings et publicité. Et ça, c’est vraiment une chose nouvelle et intéressante, c’est-à-dire que dans des documents purement économiques, on intègre la communication et le marketing. De manière très récente également, le Parlement européen a voté il y a maintenant un an une résolution sur les durées de vie des produits, les nouvelles consommations, etc. Et dans cette résolution qui est une résolution pour une consommation plus durable, on a tout un chapitre spécifique sur les processus de marketing et de communication plus responsable.

Dans les choses très récentes que j’ai menées, étant au Comité économique et social européen, j’ai fait voter en octobre 2021 un avis qui s'appelle “Pour une publicité plus responsable et moderne” et cet avis a été remarqué dans le sens où c’est la première fois qu’une organisation de l’UE fait un document spécifique uniquement sur la publicité et le marketing avec l’idée de comment faire en sorte que ces deux leviers puissent davantage être compatibles avec les enjeux de la transition écologique. C’est tout à fait nouveau. C’est L’UE qui s’intéresse beaucoup plus cette fois-ci au problème de communication pour l’emmener dans cette trajectoire neutre en carbone.

Tom Capaldi : Malgré toutes les lois qui existent déjà sur la pub et la consommation (alimentaire, automobile, électronique…), comment peut-on encore plus pousser à la transparence et à la transition écologique des marques ?

Thierry L. : j’au un peu l’impression qu’il y a une grosse partie des personnes qui travaillent en entreprise qui sont un peu convaincues qu’il faut aller dans cette démarche d’engagement et de transparence, clairement au sein du des directions du développement durable, de plus en plus au sein des directions de la communication, il reste un noyau dur, c’est pour ça souvent lorsque l’on parle de communication des marques il faut peut-être aller un peu dans le détail, et le noyau dur c’est les directions financières et les directions commerciales.

Moi, j’ai pendant longtemps été professeur en communication au CELSA puis après en Belgique à l’université de Louvain et très souvent, j’avais des étudiants qui faisaient leur mémoire de master en communication sur des sujets de RSE et qui me disaient “mais comment est-ce qu’on peut vraiment savoir si les marques sont vraiment honnêtes lorsqu’elles disent qu’elles font du développement durable et qu’elles s’engagent pour la planète ?” Et je leur répondais quelque chose qui marchait toujours, à savoir qu’il fallait arrêter d’aller sur les rubriques développement durables des entreprises, car elles ne servent qu’à la promotion, mais qu’il faut aller sur les rubriques finance. Si l’entreprise est capable de parler de problématiques environnementales, sociétales à ses actionnaires, là, on peut avoir l’indice comme quoi, c’est un peu sérieux. C’est-à-dire que tant qu’il y a une déconnexion entre les aspects financiers, commerciaux, et les aspects communication et développement durable, là, on n’avancera pas.

C'est vraiment cette idée de mettre les enjeux de RSE aussi dans les problématiques financières et commerciales. Donc, s'il y a un point à faire, c'est vraiment s'attaquer au maillon faible, à ce qui peut apparaître un comme les obstacles à l'intérieur même de la publication parce que sinon on aboutit inévitablement à du greenwashing. Alors, on peut toujours essayer de réduire le greenwashing à la fin, ça me semble plus intelligent d'essayer de s'attaquer au problème en amont.

LA MAJEURE RSE ET ÉCONOMIES ALTERNATIVES

Carla Biongolo : récemment, vous avez tenu une conférence sur le climat qui questionnait les pays européens sur les causes de la crise climatique en faisant intervenir la jeunesse européenne. Donc, comment percevez-vous l'implication de la jeunesse sur ces sujets ?

Thierry L. : De manière mitigée, je n’aime pas quand on parle des jeunes en général parce que comme on dit les vieux ou les riches etc. C’est-à-dire que je crois qu’à l'intérieur de certains groupes, et Erwan peut en parler mieux que moi parce qu'il est sociologue, il faut toujours aller voir de plus près. Je trouve qu'il y a une partie de la jeunesse qui fait un travail formidable de mobilisation des mouvements de jeunes pour le climat, c'est juste fantastique. Mais il faut arrêter de parler des jeunes en général parce que quand on regarde de manière précise ce que disent les jeunes à propos de ces grands enjeux de climat, c'est souvent un peu plus mitigé. Pour le dire autrement, les jeunes du climat, c'est plutôt une proportion de jeunes qu'on retrouve dans les universités, des grandes écoles, diplômés, etc. Moi ce qui m’intéresse, si on souhaite vraiment une mobilisation des jeunes pour la planète, c'est que les jeunes ouvriers, les jeunes employés, les jeunes agriculteurs, puissent aussi avoir ces mêmes démarches, et ça, on ne le trouve pas encore.

Je vous encourage par exemple à aller voir ce que fait la Commission européenne, ils ont un baromètre environnement sur les 27 pays de l'Union européenne dans lequel il y a des questions spécifiques sur les jeunes. On voit que les jeunes européens, globalement, ne sont pas plus motivés pour la planète que les autres. Donc il y a une petite catégorie. Je rejoins Erwan, que j'ai entendu sur la fin, quand il parle de minorité active, c'est surtout ça. Ce sont les jeunes qui sont en capacité de faire changer les choses, mais il faut arrêter de mettre l'ensemble de la jeunesse dans le même panier parce que sinon on passe à côté de l'essentiel.

Celia Merigoux : Sentez-vous un élan responsable dans le monde de la communication ? Les priorités ont-elles changé ? Comment peut-on enfin mobiliser les communicants et les consommateurs pour la planète ?

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Thierry Libaert

Thierry L. : Question très intéressante. Premièrement, oui, il y a un mouvement. On fête cette semaine le premier anniversaire d’un appel que j’avais lancé avec une collègue du Québec pour une communication plus responsable. On l’avait lancé comme ça, sans penser que ça pouvait avoir un grand succès. On a aujourd’hui une quarantaine de pays qui l’ont signé. On a les 10 plus grandes et importantes associations internationales de communication qui l’ont signé. C’est juste formidable ! Il se passe quelque chose.

On a aussi changé d’air. Pendant très longtemps quand on parlait de communication de publicité plus responsable, on était dans l'idée de mieux communiquer et éviter l'éco-blanchiment, le greenwashing, etc. Maintenant, on est passé dans une sphère différente, qui fait qu'on considère la communication responsable non plus comme une communication intelligente sur la responsabilité des entreprises, mais vraiment comme étant la responsabilité du communiquant par rapport aux grands enjeux de la transition écologique et de la lutte contre le dérèglement climatique. Néanmoins, il y a encore du travail. Depuis 18 mois, on considère, par exemple, un doublement des cas de greenwashing. Il y a 15 ans, le sujet du greenwashing était un peu retombé et stabilisé (environ 5% de la publicité était considéré comme du greenwashing). L’année dernière, ça a doublé : nous avons atteint 11%. 

De même, on a par exemple une publicité sur deux qui parle d’environnement sur Youtube qui n’est pas conforme à la recommandation de développement durable de l’ARPP. Tout ça pour dire qu’il y a un vrai mouvement, on a changé de dimension, mais il faut toujours maintenir une certaine vigilance, une certaine pression, parce que sinon on voit qu’il y a des pratiques qui peuvent revenir assez facilement.

Auriane Truilhé : Après avoir écrit des ouvrages, fait plusieurs interventions, quelle est votre prochaine étape pour donner du courage aux communicants de demain ?

Thierry L. : S’il faut parler franchement, je ne veux pas donner du courage. Je ne suis pas dans une posture de donneur de leçons de vouloir donner du courage aux gens. Et pour dire le fond de ma pensée je ne suis pas sûr qu’il faille du courage, parce qu’en fait c’est peut-être plus facile que ce dont on imagine. Quand il y a un an avec Solange Tremblay, une collègue qui est au Québec, on a lancé cet appel, on a simplement fait un papier, un manifeste, on l'a transmis et puis là on est juste surpris de voir l’ampleur que ça a pris !

En 2013, j’ai rédigé le premier texte européen sur l’obsolescence programmée. À l'époque, personne n’en parlait. Maintenant, le sujet de l’obsolescence programmée est un peu incontournable. Il ne fallait pas de courage, il fallait juste penser que ça pourrait être une bonne idée. 

Là, sur le sujet de la publicité, c’est pareil, il y a eu quelques rapports rédigés en 2016 pour introduire le sujet pour une publicité plus responsable. Ce n'est peut-être pas avoir du courage, c’est peut-être avoir le sentiment que “le temps est venu”. C’est peut-être le bon moment pour y aller et puis profiter. Mais à chaque fois je me suis aperçu que sans organisation derrière moi, sans financement, sans appui particulier, simplement en tapant aux bonnes portes et en saisissant peut-être le bon moment, on arrivait à faire bouger les choses.

Néanmoins, s’il faudrait du courage pour vous…alors l’idée vous n’allez pas forcément bien la recevoir, mais c’est de dire que : Si vous voulez vraiment faire bouger les choses, ne vous contentez pas de choses qui peuvent apparaître faciles, parce que vous connaissez l’image de la marque employeur donc vous êtes plutôt attiré à travailler dans des entreprises type Patagonia, des mutuelles ou des entreprises qui essayent de faire bouger les choses, etc.

Moi si j’avais un conseil ça ne serait pas celui-là, ça serait d’aller travailler chez Total, chez des grandes banques, travailler dans des sociétés qui ont un vrai impact, qui ne sont peut-être pas forcément convaincues. Parce que je crois que c’est vraiment de l’intérieur, sans forcément avoir une posture d’infiltré, mais je crois que c’est vraiment à l’intérieur des entreprises, des organisations qu’on peut le plus facilement faire bouger les choses. Pour connaître un peu la mentalité des grandes entreprises, on se méfie un peu de l’extérieur, des ONG, des associations, on voit plutôt ça en terme de conflit potentiel, mais je crois beaucoup en la force des réseaux de salariés internes aux entreprises pour essayer de l’intérieur de faire bouger les choses.

Donc là pour le coup s’il faut un peu de courage, ça serait aussi dans l’idée de peut-être, je ne parle pas pour l’ensemble de votre carrière professionnelle, mais si à un moment donné on peut se dire “Je vais passer 1 an ou 2 dans une entreprise ayant un vrai impact où ce sera pas forcément facile mais je pense que c’est de l’intérieur où on peut changer les choses”. Là, il faudra un peu de courage.