Julie-Aveline

Enjeux de la création à l'heure des marques user-friendly

Julie Aveline, Directrice scientifique de la spécialisation Création et Design de marque à ISCOM Paris *

1 mars 2022

La création au service des marques est devenue « user-centric ». Que ce soit pour un message publicitaire, une identité visuelle, un packaging ou une expérience en ligne, la prise de parole des marques se doit de penser attentes et besoins – elle se doit d’être utile aux yeux du consommateur. Le nouveau modèle de l’entreprise « customer obsessed » exige des marques – comme des agences qui les accompagnent ; de reconsidérer la nature même de leur métier : satisfaire des clients et non plus manager des produits. Qu’est-ce que cela implique pour la formation aux métiers de la création ? Quelques réponses de la spécialisation ISCOM CREATION & DESIGN DE MARQUE.

UN CONTEXTE « SERVICIEL » ET ENGAGE

La Réclame annonçait en 2021 : « Il faut revoir complètement les usages des audiences, au-delà d’être informative, la publicité doit réellement leur apporter quelque chose ».1 Identité, produit, espaces on-offline, messages : tout est expérience, tout est utile, tout est « au service de ». Rien de plus logique dans un contexte de marque responsable et engagée.

Les agences créatives font en effet face à de nouveaux défis qui sèment la « panique dans la pub » - c’est ainsi que le magazine Usbek et Rica titrait son numéro du premier trimestre 2021. « A l’automne 2020 », lit-on, « l’Assemblée Nationale a étudié une proposition de loi (finalement rejetée) baptisée ‘Loi Evin Climat’. Objectif annoncé : légiférer autour d’une interdiction progressive de la publicité dans certains secteurs sur les produits les plus polluants. Dans le viseur, notamment, l’automobile ». La réaction des agences est à l’inquiétude. Mais, insiste l’article, « la nouvelle génération de pubards semble avoir d’autres aspirations : ‘Les étudiants et les jeunes diplômés en communication et en publicité le disent : ils veulent que leur métier ait du sens, y compris au regard de l’écologie’ ».2

A ce titre, l’ADN dressait en mai 2021 un portrait de Valérie Henaff, Chief Strategy Officer chez Publicis France, dont l’objectif est passé d’« accompagner les marques dans la recherche de leur raison d'être » à « comment mettre en marche ces changements ». Elle explique « Pour y parvenir, nous avons lancé le Make It Positive Lab en collaboration avec mySESAME une entreprise de formation spécialisée dans l'économie sociale et solidaire, ainsi qu'avec le média de prospective We Demain. Ensemble, nous allons aider les clients à mieux connaître leur impact et les former aux enjeux environnementaux dans leurs métiers et leur business units. Nous comptons innover pour imaginer les produits, les services, et les initiatives qui vont dans le sens d'une meilleure société. C'est un endroit qui est fait pour passer du purpose à l'action, de la raison d'être à la raison d'agir » . 3

L’agence de design Pixelis parle de son côté de « branding for good » ou branding engagé 4, tandis que Lonsdale développe une offre « Go Good » pour aider les marques à bien choisir leur terrain d’engagement en menant une réflexion, non plus sur leur RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise5 ) mais sur leur CRE (Customer Responsible Experience - ou expérience consommateur responsable) - une approche centrée utilisateur de la responsabilité des entreprises.6

LA DATA AU SERVICE DE LA CREATION

Dans un contexte de service et d’ultra-personnalisation de la relation client, la data est devenue essentielle. Son analyse sert à penser puis créer des solutions (produits/services) et messages (messages publicitaires ou conversations sur les réseaux sociaux) toujours plus en phase avec les envies et attentes des consommateurs. A noter cependant que l’analyse de la data n’a pas les mêmes vocations selon le type d’entreprise et de livrable envisagé. Selon Basile Viault, ex-CDO (Chief Digital Officer) chez TBWA Paris et enseignant en data-driven storytelling7 à ISCOM Paris : « Il est bien important de faire le distinguo dans l’océan des définitions de la data : une agence créative (data créatifs) a un besoin de données très différent dans ses objectifs, d’un cabinet conseil SSII (Accenture, Deloitte, Cap Gemini), ou d’une agence média (data scientists) (…). Quand une agence créative parle de données, elle va à la fois à l’opposé des concepts des cabinets conseil (dans la rigueur méthodologique), et à la fois reste très proche et plus « agile » que ces dernières : là où d’autres cherchent à faire de la donnée une dimension exacte, nous travaillons la donnée à des fins de justesse d’analyse : la justesse d’analyse compte plus que l’exhaustivité du traitement des données, autrement dit, le juste prime sur le vrai.

Ainsi dans l’approche créative de la data, l’enjeu est de trouver l’insight, la donnée inspirante qui va alimenter les équipes créatives : on est là pour trouver une idée forte qui sert la stratégie de communication, et non pour piloter une myriade d’indices ». Wale Gbadamosi – Oyekanmi, fondateur de l’agence Dare.Win ajoute enfin : « La data va avoir de plus en plus d’importance (…). Il s’agit surtout, à l’heure où 60% des Millenials utilisent des adblocks, de ne plus être perçu comme une intrusion néfaste mais comme un point d’intérêt ».8

DES CREATIFS EMPATHIQUES A 360°

Créer pour répondre à un besoin, pour devenir un point d’intérêt – créer avec du sens ; c’est faire du design au sens propre du terme, c’est apprendre à prendre en compte le contexte des marques et de leurs usages tout azimut.

S’il devait au départ vanter les mérites d’un produit, le créatif doit aujourd’hui entretenir une conversation engagée avec le consommateur, lui faire vivre une expérience mémorable et sans couture, et plus loin, lui rendre service – le comprendre donc.

Les créatifs se doivent ainsi d’investir tous les points de contacts possibles entre la marque et son audience, diversifier comme spécialiser leurs domaines d’action et leurs savoir-faire - autrement dit, à la fois :

  • avoir un œil sur tous les canaux, tous les espaces on/offline (en ligne, comme dans la « vraie vie ») et connaitre tous les formats d’expression, à « 360 », afin de comprendre l’extension du domaine de l’expérience des marques et rester force de proposition ;
  • acquérir une vision stratégique holistique et « problem solving » de la relation aux marques et à leurs publics via la connaissance des méthodes de travail centrées sur l’utilisateur et les usages ;
  • tout en maitrisant un domaine/art bien précis de la production créative (par ex : l’identité de marque, le packaging, le contenu de marque, la publicité ou encore le design d’expérience /de produit online comme IRL).
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ISCOM nous pensons que les créatifs de demain seront des designers au sens propre du terme : des artisans accomplis, maîtres de leur art, et des stratèges capables de répondre à une demande client avec une solution ancrée dans le réel – capables donc de se connecter aux façons complexes qu’on les gens de donner du sens et de la valeur à ce qui les entoure, capables de réduire l’écart entre les hommes et les « objets » qui les entourent. La création/la créativité qui sera perçue comme telle, sera celle du sens.

MAJEURE UX DESIGN & DESIGN DE SERVICE

*Directrice scientifique de la spécialisation Création et Design de Marque à ISCOM Paris, Julie est aussi responsable du Design Lab et enseignante. Elle a travaillé pendant de nombreuses années en tant que consultante marque (stratégie et création de contenu) et consultante en design et innovation. Elle est diplômée d’un Master en Histoire du Design au Royal College of Art.

 

  1. https://lareclame.fr/tendances-creation-publicitaire-2021-244386/ (28/01/2021)
  2. « Panique dans la pub », Usbek et Rica, Janvier 2021, p. 50-51
  3. https://www.ladn.eu/adn-shift/portrait-de-valerie-henaff-chief-strategy-officer-de-publicis-france/ (17/05/2021)
  4. https://medium.com/pixelis/le-branding-for-good-de-pixelis-8edaaf43ebb6
  5. https://www.economie.gouv.fr/entreprises/responsabilite-societale-entreprises-rse
  6. https://www.lonsdale.fr/fr/actualites/go-good-is-your-brand-ready-to-go-good/ (2019) – L’étude propose de passer de la RSE à la CRE – customer responsible experience ; une approche centrée utilisateur de la responsabilité des entreprises
  7. https://www.blogdumoderateur.com/importance-donnees-agences-creatives/ - consulté le 29/03/2021 Le « data-driven storytelling » peut se traduire par « histoires/narrations orientées par la donnée »
  8. « Panique dans la pub », Usbek et Rica, Janvier 2021, p. 37
  9. « Problem solving » peut se traduire en Français par « orienté sur la résolution de problème »