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La communication responsable mesure et pilote ses impacts

L’interview avec Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse et président de la commission RSE de l’AACC.

Mars 2022

Pouvez-vous présenter en quelques mots, et différencier vos deux rôles de président (AACC et  Sidièse)?

Alors je suis président d’une agence qui s’appelle Sidièse que j’ai fondé il y a 22 ans et qui est exclusivement dédiée aux enjeux de responsabilité sociale et environnementale des marques et des organisations. Le sujet de notre agence est de travailler à l’expression des organisations sur leur démarche autour de la transition écologique. On est une agence de 25 collaborateurs et mon rôle est de piloter la commission RSE du syndicat professionnel. Un syndicat professionnel est un syndicat représentatif patronal qui réunit les représentants des entreprises. Ça représente un peu plus de 80% du marché en termes de business, ça représente 12 000 collaborateurs. C’est l’interface avec les pouvoirs publics, les syndicats. Mon job au sein de cette commission RSE est de documenter des grands enjeux du développement durable, de la confrontation des enjeux de la transition écologique avec les métiers de la communication, d’outiller des agences de communication et de les sensibiliser à changer leurs modèles, leurs usages, et à mieux appréhender ces impacts.

On est sur la thématique de la communication responsable. On aimerait savoir ce qu’est la communication responsable pour vous : avoir une définition. Concrètement on aurait aimé savoir quelles sont les actions que vous et l’agence Sidièse avait fait comme actions pour illustrer cette définition.

Tout ça en 2 minutes ! Moi j’aime bien rappelé que le mot « responsable » vient du latin « respondere » qui veut dire « répondre ». Ça veut dire que c’est une communication qui essaie d’être à la hauteur des publics, à la hauteur des gens dans leurs attentes d’information, de clarification sur les produits, les services qui leurs sont proposés. 

C’est une communication qui n’est pas uniquement centrée sur l’ADN d’un produit d’une marque ou d’une entreprise qui a tendance à se raconter elle même, à « se pousser du col », c’est à dire à se faire le plus beau possible pour attirer le chaland. C’est une communication qui se préoccupe de la sensibilité des publics, à la fois dans leur besoin de transparence, de sincérité, de réalité car les études dont parlait Valérie tout à l’heure montre que les citoyens consommateurs sont très demandeurs sur le chemin de la transition écologique, ils veulent avoir  des informations, être guidés dans leur consommation plus responsable. C’est une communication qui essaie de répondre sincèrement à ces publics mais aussi qui prend en compte les sensibilité d’une société qui n’est pas monolithe, qui n’est pas un seul bloc. Une société qui est formée de tas de cultures et de sensibilités différentes donc de veiller à ce que ce soit une communication qui prend vraiment en compte les attentes de chacun.

C’est une communication qui se veut plus modeste et le sujet « meta », c’est une communication qui mesure et qui pilote ses impacts environnementaux et sociaux. La première démarche, qui est notre actualité avec Valérie en ce moment, c'est : « Comment on aide l’ensemble des agences de communication et les acteurs de là filières à faire une trajectoire carbone ? ». C’est bien joli de faire une photographie de son empreinte carbone à la fin de l’année mais ce qui est intéressant, c’est de se dire « Comment on fait une trajectoire ? ». Par rapport à l’accord de Paris, il n’y a pas de raison que mon agence ne se donne pas un objectif de diminution pour atteindre l’objectif de 2030 puis de 2050 : c’est la mère de toutes les batailles !

Comment fait-on chez Sidièse ?  On essaie principalement de faire de la formation, de la sensibilisation et du partage d’expériences. On essaie d’avoir une charte déontologique, de façon à faire un débat autour des clients et des sujets qu’on nous demande de promouvoir parce qu’on peut ne pas être d’accord les uns, des autres. On a pas de clause de conscience comme les journalistes mais on a quand même le droit de dire qu’il y a des sujets qu’on a pas forcément envie de promouvoir. Par exemple, je n’aimerais pas forcément promouvoir KFC : du poulet trempé dans de l’huile… J’aimerai pouvoir débattre du sujet qu'on va porter : c’est assez critique. 

Je réponds de façon rapide mais c’est un point essentiel pour les futurs communicants que vous êtes, de comprendre que nos agences doivent avoir une conscience du monde, une bonne culture de ce qu’il est entrain de se passer, de ce monde en transition et de se dire :  « À quel endroit j’ai envie de peser ? A qui j’ai envie de donner mon talent, mon intelligence et le temps que je passe au travail ? » 

Lors de votre conférence TED X Paris en 2010, vous disiez “On va redessiner la gouvernance dans les entreprises et nos modes de collaboration c’est certain”,  pouvez-vous nous faire un constat 10 ans plus tard ?

Votre question est importante parce que notre façon de revoir la gouvernance est en train de bouger. Le système capitaliste libéral ne va pas se retourner du jour au lendemain. Dans cette organisation libéral du monde, il est important de voir comment mieux distribuer la valeur entre actionnaires et salariés. Mais la réponse que j’aimerais vous donner, c’est surtout sur les entreprises à mission. C’est intéressant philosophiquement de changer de lunettes et de se demander “pourquoi on a envie de travailler le matin” quand on fait cet exercice collectivement c’est très utile, notamment dans une PME. La deuxième chose que je souhaite vous dire c’est que nous sommes dans un système holacratique : Au lieu d’avoir une gouvernance uniquement pyramidale (PDG, ensuite Management etc),  c’est un système qui s'organise autour d'un pôle talent; qui peuvent être “leadé”, piloté, par n'importe quel collaborateur.

Le statut d’entreprise à missions représente-t-il aujourd’hui une réelle valeur dans le monde de l’Entreprise ? Est-ce une réelle preuve de leur engagement pour la planète ? Que se passe-t-il si elles ne respectent pas leurs objectifs ou engagements ? 

C’est pas tellement pour la planète que ça peut changer, c’est pour notre humanité.  Et quand on parle de l’humanité c’est pas le gros sujet de notre potentiel survivance dans une planète en feu mais de notre humanité, ce qui nous connecte les uns les autres. 

Je ne pense pas que ça soit une révolution l’entreprise à mission je le vois chez les clients mais en revanche le travail constitutif amène des débats que les entreprises n'avaient pas et quand c’est bien mené, quand c’est fait par des gens sérieux quand les questions sont vraiment abordés c’est : “Patron pourquoi on fait ça en fait vraiment quoi ? Est-ce que le monde irait mieux ou pas si on n’était pas là  ? Quelle est notre utilité et qu’est qui fait qu’on a une voix d’apporter quelque chose de supplétif à l'humanité c’est vraiment quelque chose dont on avait profondément besoin ?”

Donc je crois vraiment en terme de communication et là c’est de la communication interne, il y a beaucoup de cabinets qui travaillent là dessus. Je pense que c'est vraiment quelque chose d’assez révolutionnaire, c’est le droit de dire, de parler à un patron ou de retrouver le groupe social autour de la direction générale pour pouvoir évoquer ces choses-là de façon libérée mais moi je vois que ça a un effet sur le groupe social. 

En tout cas vous vous verrez que ce qui change dans le monde de la communication c’est le droit de parler, on était dans un monde glacé c’est-à-dire avec des organisations matricielles dans lequel les individus et même les cadres supérieurs étaient complètement phagocytés par leur seule fonction. Or aujourd'hui, et le covid a beaucoup accéléré ce sujet là, nous ne sommes pas que fonctionnel nous ne sommes pas que utilitaires. Nous avons aussi à apporter notre vision, à participer à la culture et de la dynamique de l’entreprise. On sait que les entreprises sont plus efficaces, plus productives, plus pérennes, plus durables quand elles libèrent ce champ-là et là les communicants on a vraiment notre rôle à jouer. 

La Majeure Data and Digital Analytics

Qu’est ce que vous attendez des futurs communicants ? Pour vous, le courage est-il une valeur obligatoire pour mettre en place cette transformation ? 

Personnellement, je n’ai rien à attendre de vous. Je vous souhaite d'être courageux, et pour pouvoir être courageux, je vous souhaite d'être cultivé. De comprendre ce que je disais en introduction, la sensibilité du monde dans son hétérogénéité, c'est-à-dire la différence de chacun. Parce qu’être dans le clivage, être contre, être dans des postures, en tant que communicants ça ne sert pas à grand-chose. C’est comment est ce qu’on monte en capacité d'être courageux. 

Pour être courageux il faut être très attentif à la position de celui qu’on a en face. Il faut être le plus cultivé possible, bien connaître ses dossiers, bien connaître les sujets, pas dire de grosses bêtises. Il faut je pense avoir le courage de dire et là je pense que je vais dire un truc très “boomer”:  il faut être bien élevé en fait !  Il faut être élégant. Parce qu'on peut tout dire quand on est sincère mais ce qui demande du courage c’est de dire ce qu’on pense, c’est d’amener son propos. Et bien on peut le faire lorsqu’on est attentif, sensible, bien élevé, c'est-à-dire courtois. De façon à dire, voilà, moi je pense, que cela serait intéressant qu’on évoque ça, qu’est ce que vous en pensez ? C’est pas je ne suis pas d’accord.  Les communicants, quoi qu’on est dit de nous, on est des êtres singuliers, on vient pas inspecter la par hasard, on vient inspecter plutôt car on est des émotionnels.

Vous voyez maintenant des gens qui viennent comme des “data analysts”, qui viennent pour une vision plus cartésienne et plus rationnelle. On a plutôt une fibre très humaine, relationnelle et donc nous sommes des vecteurs, des connecteurs et je pense qu’on a à vivre une transition technique, organisationnelle, on doit changer de modèle, on doit changer de comportement. Mais on doit être extrêmement sensible au corps social, parce que le corps social a peur du changement, il a peur de la guerre, il a peur de la transition, il a peur du chômage, peur pour sa sécurité.  Et donc il faut qu’on soit toujours extrêmement vigilant à la paix sociale et au respect des uns des autres. Donc le courage c’est de dire, en étant très aligné sur tes valeurs, sur ses convictions. Mais tout en étant extrêmement sensible à l’autre. Et la un petit stage de communication non violente ne fait pas de mal, c’est vachement intéressant.